La guêpe parasite qui transforme les coccinelles en gardes du corps

Insectes, hyménoptères, Braconidae, Dinocampus coccinellae

La guêpe Dinocampus coccinellae, que l’on voit sous forme de cocon sur les photos de cet article, transforme les coccinelles adultes en zombies gardes du corps. Cette petite guêpe solitaire appartient à la gigantesque famille des guêpes braconides ou Braconidae, qui regroupe de nombreuses guêpes parasitoïdes qui pondent leurs oeufs dans d’autres insectes.

Quel est le cycle de vie de la guêpe qui zombifie les coccinelles ?

Le cycle de vie très particulier de cette petite guêpe commence lorsqu’une guêpe femelle de l’espèce Dinocampus coccinellae trouve une coccinelle adulte. La guêpe pond alors un oeuf directement dans cette coccinelle à l’aide de son ovipositeur. Les ovipositeurs, chez les insectes, sont des sortes de seringues à oeufs que certaines espèces ont pour pouvoir pondre leurs oeufs à travers des matériaux ou des membranes difficiles à pénétrer, comme le sol, les plantes, ou dans le cas de notre guêpe, à travers la peau d’autres animaux. L’oeuf de la guêpe se développe et grandit sous forme de larve dans l’abdomen de la coccinelle. La larve dévore certains organes de la coccinelle, mais pas tous. En particulier elle ne touche pas à son cerveau, et laisse au moins une partie de se nerfs et muscles intacts. Après plusieurs jours de développement, la larve de guêpe sort du corps de la coccinelle en perforant son abdomen, tisse un cocon, et se transforme en nymphe. Mais tout n’est pas pour autant terminé pour la coccinelle : celle-ci devient presque instantanément paralysée. La coccinelle s’attache au cocon de la guêpe et ne bouge plus, à l’exception de quelques mouvements brusques de ses élytres. Si elle ne tombe pas à cause du vent, la coccinelle reste ainsi figée plusieurs jours jusqu’à ce que la guêpe émerge de son cocon.

L’avantage d’avoir comme garde du corps une coccinelle-zombie est multiple. Les coccinelles produisent une substance répulsive toxique orange qui a très mauvais goût. Les oiseaux apprennent rapidement à éviter de manger des coccinelles, et les reconnaissent facilement à leurs couleurs vives et au fort contrastes entre leurs corps et leurs points généralement noirs et rouges. C’est un bon moyen pour la guêpe d’éviter de se faire manger par des oiseaux. Les coccinelles étant prédatrices d’autres insectes, il est aussi possible que certains insectes qui souhaiteraient manger le cocon de la guêpe évitent de s’approcher de la coccinelle.

Comment une guêpe parasite parvient à causer une paralysie immédiate en sortant du corps d’une coccinelle est une question qui fascine les chercheurs. Souvent, les paralysies sont causées par des venins que de nombreuses guêpes sont capables de produire. Mais on sait depuis longtemps que les guêpes de la famille des Braconidae, comme Dinocampus coccinellae, transmettent aussi aux insectes des virus qui les aident à survivre dans leur hôte [1].

Cocon de guêpe braconide de la famille des braconidae et de l'espèce Dinocampus coccinellae sous une coccinelle asiatique noire à deux points oranges Harmonia axyridis
Cocon de Dinocampus coccinellae sous une coccinelle asiatique
Une larve de guêpe braconide parasite de coccinelle a transformé une coccinelle noire à deux points oranges qu'elle a parasité en garde du corps. On voit sur cette photo macro la coccinelle Harmonia axyridis garder le cocon de la guêpe.
Coccinelle asiatique "zombie garde du corps" et cocon de guêpe braconide

Une équipe de chercheuses et chercheurs de Perpignan a tenté de déterminer si la substance paralysante était un venin ou un virus, et de comprendre comment la guêpe est capable de causer une paralyse chez les coccinelles seulement au moment où elle sort du corps de la coccinelle. Le mécanisme qu’ils ont découvert est plutôt unique et même assez inattendu [2].

Il semble que les guêpes adultes femelles aient dans leur ovipositeur un virus, qu’elles transmettent à leurs propres larves. Les larves de la guêpe transmettent à leur tour ce virus à leurs hôtes, les coccinelles, pendant qu’elles se développent. Chez la coccinelle, ces virus se développent en particulier dans les tissus nerveux. Le corps de la coccinelle ne les élimine pas : la guêpe supprime la réponse immunitaire de la coccinelle, l’empêchant de se défendre contre ce virus. Lorsque la larve de la guêpe sort de la coccinelle, le nombre de virus dans le cerveau de la coccinelle est très élevé. Mais il semblerait que ce ne soit pas directement le virus qui paralyse la coccinelle et change son comportement. L’équipe de chercheuses et chercheurs suspecte en fait que lorsque la larve de guêpe quitte le corps de la coccinelle, le système immunitaire de la coccinelle redémarre. Il n’est plus bloqué par la larve de la guêpe, et le corps de la coccinelle peut recommencer à se défendre contre les virus. Mais en faisant ainsi, il est possible que les défenses immunitaires de la coccinelle attaquent ses propres tissus nerveux dans lesquels on trouve la plupart des virus. Il semble donc que ce soit la coccinelle elle-même, ou plutôt sa réaction immunitaire contre le virus présent dans ses nerfs, qui la paralyse. Une fois que le système immunitaire de la coccinelle redémarre, celle-ci peut parvenir à éliminer les virus de son corps. L’élimination du virus semble entraîner un rétablissement du comportement normal de la coccinelle.

Ce cycle complexe qui ne fonctionne qu’avec trois espèces différentes en même temps est une découverte inédite, et suggère que les guêpes parasites peuvent moduler le comportement de leurs hôtes à l’aide de virus dont elles régulent le contrôle.

Cet article est agrégé au café des sciences, un site internet - mais aussi divers comptes sur les réseaux sociaux (voir twitter en attendant le retour du site !), qui regroupent le meilleur de l’actualité scientifique sur l’internet francophone.


Partager cet article pour soutenir Myrmecofourmis.fr:


Articles liés

Notes et références

[1Dicke, M., Cusumano, A., & Poelman, E. H. (2020). Microbial symbionts of parasitoids. Annual Review of Entomology, 65, 171-190.

[2Dheilly, N. M., Maure, F., Ravallec, M., Galinier, R., Doyon, J., Duval, D., ... & Mitta, G. (2015). Who is the puppet master ? Replication of a parasitic wasp-associated virus correlates with host behaviour manipulation. Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences, 282(1803), 20142773. Article complet en anglais.



Poser une question:

Votre message
Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.